(Synthèse de la Conférence d’Antoine Vaccaro, le 15 mars 2012 à l’Ecole de Paris du management)
Les choses changent en philanthropie, dans un monde qui ne peut plus compter uniquement sur l’État pour garantir l’intérêt général : collectes de dons en hausse chez les grands donateurs, arsenal législatif et fiscal adapté aux besoins des entreprises, formes nouvelles de fondations, passerelles multiples entre le monde de la générosité et celui de l’économie sociale et solidaire. Tout cela concourt à redéfinir les contours d’une pratique multiforme, longtemps suspecte, mais aujourd’hui reconnue comme capable de constituer un complément puissant à la prise en charge de l’intérêt général, aux côtés des États. S’il y a lieu d’être optimiste quant aux perspectives d’enrôler de nouvelles générations de grands philanthropes, les acteurs de la conférence « Philanthropy for the 21st Century » qui s’est tenue en février 2012, soulignent la nécessité de mieux orienter la philanthropie, pour accéder à une échelle beaucoup plus grande qu’elle ne l’est actuellement.
Mais d’abord, d’où venons nous ?
1. L’avènement d’une philanthropie de masse
L’explosion du secteur associatif s’est produite il y a 40 ans, au début de la crise des sociétés occidentales et de la montée des inégalités. Elle a accompagné la prise de conscience, dans tous les pays de l’OCDE, que l’intérêt général peut être également servi par la société civile.
En 1975, on enregistre un premier saut quantitatif : près de 30 000 associations sont créées pour cette seule année. On estime aujourd’hui à environ 1,2 million le nombre d’associations[1], dont la majorité est encore fortement assujettie aux financements de l’État et des collectivités. La part du financement privé représente toutefois 3,5 milliards d’euros environ, 80 % étant versé par les particuliers, le reste par les entreprises.
L’augmentation du revenu disponible des retraités depuis le début des années 80 explique en partie cet essor. La capacité de donner croît avec l’âge. Le vieillissement de la population est donc un facteur favorisant.
2. Le printemps des Fondations, signe du renouveau de la Philanthropie
La décennie qui vient de s’écouler est marquée par la grande philanthropie, celle des donateurs en capacité de faire des dons de dizaines voire de centaines de milliers d’euros, liée au contexte économique de l’enrichissement des actionnaires et d’un cadre juridique et fiscal plus favorable pour les fondations RUP [2]. Ce renouveau de la philanthropie se manifeste aussi par le mécénat des grandes entreprises.
Né de l’enrichissement de quelques-uns permis par la mondialisation de l’économie et le transfert du pouvoir sur les actionnaires, dans une société de plus en plus inégalitaire où la question posée est plus que jamais celle de l’extrême pauvreté, cette nouvelle philanthropie s’accompagne de frictions sur la façon de penser l’intérêt général, et de polémiques, comme celles existant autour de l’action de la fondation B.et M. Gates. [3]
Mais au delà de ces polémiques, un certain nombre d’observateurs, depuis la création de la Fondation Gates, ne considèrent plus la philanthropie comme un jeu d’amateurs et pensent même qu’elle peut constituer un complément puissant à la prise en charge de l’intérêt général aux cotés des Etats.
3. Nécessité d’encourager la philanthropie
Un mouvement d’encouragement à la philanthropie s’amplifie dans le monde entier, lié à l’aggravation généralisée des déficits du welfare state. En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron a lancé une vaste initiative d’encouragement des initiatives philanthropiques en publiant un livre blanc du don[4] et affectant des sommes conséquentes aux moyens de mobilisation de la philanthropie du grand public
Lors de la conférence « Philanthropy for the 21st Century »[5] qui s’est tenue au sein de la fondation Ditchley en GB en février 2012, les participants, ont souligné la nécessité d’appréhender la philanthropie face à trois acteurs et enjeux.
3.1. La philanthropie et l’Etat
La voix philanthropique n’est pas assez reconnue par les hommes de l’Etat.
« Les gouvernements devraient être reconnaissants, mais ils sont en général nerveux quand les philanthropes sont dans le coin. Certains font valoir que les gouvernements font mieux et que les philanthropes doivent rester à l’écart. »
Les philanthropes doivent-ils combler les lacunes laissées par les gouvernements, ou prendre des risques et innover, produire des idées que d’autres tels que les gouvernements pourraient reprendre ensuite à une autre échelle ? La réponse n’est pas simple. La philanthropie prend de nombreuses formes et choisit des domaines d’intervention variés. Les fondations n’ont pas les mêmes modes d’action que les particuliers. Leur tendance est de financer des projets plutôt que des institutions. Dans tous les cas une proportion croissante de la richesse du monde est dans des mains privées, et la philanthropie semble le meilleur moyen de socialiser au moins une partie de ces fonds au profit du bien public.
3.2. La philanthropie et l’entreprise
Les intervenants de la conférence Ditchley ont souligné que les entreprises n’ont pas toujours pas pris leurs responsabilités sociétales au sérieux, et que nombre d’entre elles se sont simplement repliées sur la plus ou moins symbolique RSE. De nombreux actionnaires ne sont pas encore convaincus que l’engagement dans les questions sociétales n’est pas seulement bon pour l’image, mais également important pour la satisfaction des employés, et bon pour les affaires elles-mêmes, que la valeur pour l’actionnaire et les avantages pour la collectivité pourraient être convergents.
Le CerPhi instruit depuis peu les premiers Bilan Philanthropique© d’entreprises. La première difficulté que nous avons rencontrée a été de convaincre nos interlocuteurs qu’il existait une dimension philanthropique de l’entreprise qui embrassait plus largement que son simple mécénat et concernait ses parties prenantes : salariés, clients, fournisseurs, actionnaires.
3.3. Le rôle des nouvelles technologies dans la reconfiguration de la philanthropie
Les nouvelles technologies vont soulever de nouvelles questions de reddition de comptes : les donateurs peuvent désormais facilement être entendus, par exemple grâce à des campagnes sur les réseaux sociaux, s’ils ne sont pas satisfaits de certains aspects de la gestion financière ou de l’action de terrain de telle ou telle organisation.
Un exemple édifiant : le délégué général d’un grande ONG de solidarité internationale a reçu dans sa boîte mail une lettre de protestation d’un réfugié qui se plaignait de la façon dont l’organisation délivrait sa prestation sur le terrain. Imaginons un instant quel serait l’impact d’une campagne de protestation sur les réseaux sociaux de la part de centaines de bénéficiaires de cette ONG.
Cette tendance a un côté positif en instituant des « watch dogs ». Mais les médias sociaux peuvent détruire aussi facilement que construire, ils pourraient aussi finir par avoir impact global négatif sur la philanthropie. En attendant, les nouvelles technologies numériques favorisent la transparence et le partage des données de l’information beaucoup plus largement.
Conclusions et recommandations des acteurs de la conférence « Philanthropy for the 21st Century » [6]
Il y a lieu d’être raisonnablement optimiste quant aux perspectives d’enrôler de nouvelles générations de grands philanthropes. Mais les problèmes auxquels le monde est confronté sont énormes et croissants tandis que les capacités des gouvernements pour y remédier baissent. Il y a nécessité de mieux orienter la philanthropie sur une échelle beaucoup plus grande qu’elle ne l’est actuellement ; de créer des changements culturels et réglementaires nécessaires pour rendre la philanthropie plus facile, plus naturelle et plus gratifiante et en conséquence convaincante, faisant appel à la nouvelle génération. Ce qui nécessite de :
- Créer une culture plus positive de la philanthropique
- Favoriser l’expansion systématique du nombre de donateurs en commençant dès le plus jeune âge.
- Créer une relation plus constructive avec les gouvernements, impliquer le législateur
- Favoriser la collaboration entre philanthropes, institutions philanthropiques et structures bénéficiaires.
- Rassembler philanthropes et charities et représentants des pouvoirs publics, à Davos ou lors de sommets similaires
- Promouvoir les possibilités de formation pour des philanthropes et leurs conseils.
- Renforcer la recherche sur la philanthropie
- Mieux utiliser les nouvelles technologies, pour aider à construire de nouveaux modèles qui conviennent aux habitudes et attitudes des jeunes générations.
- Développer de nouveaux partenariats entre le secteur non profit et le business, y compris de nouveaux modèles d’investis-sement, dont la Venture philanthropie.
- Favoriser une innovation à l’échelle des problèmes sociaux, que ce soit par le gouvernement ou le secteur privé
[1] V. Tchernonog, Les associations en France. Addes 2007
[2] Loi de Juillet 1990 portant sur les fondations d’entreprise et loi Aillagon d’août 2003.
[3] Placements des fonds de la fondation et conflits d’intérêts (Agra et Monsanto ; présence dans le capital de l’italien ENI qui exploite des champs pétrolifères au Nigéria…) ; utilisation des fonds (caractère peu démocratique de la fondation et son financement…) ; légitimité des choix (éradiquer le 1% de polio restant dans le monde, un montant astronomique pour un résultat peu probant…)
[4] Giving White Paper. http://www.cabinetoffice.gov.uk/resource-library/giving-white-paper
[5] http://www.ditchley.co.uk/page/394/philanthropy.htm
[6] Ditchley, ibid