Jean Gatel, secrétaire d’Etat à l’économie sociale a comparé le mouvement associatif « à un sismographe par lequel on enregistrerait les vibrations de la société ».
Cette métaphore, particulièrement pertinente, a trouvé son illustration maintes fois dans l’histoire de ce pays.
Les grands moments de crise : politiques, économiques et sociaux, ont vu l’association aux avants postes.
De l’extraordinaire foisonnement des sociétés jacobines dans la France de 1791, menacée par la contre révolution, au développement des ligues, des sociétés d’entraide et de secours mutuels, des résistances et des coopératives, pour répondre à l’avènement du capitalisme débridé, on assiste depuis le début des années 70, coïncidant avec l’entrée et l’installation dans la crise économique, à une nouvelle explosion de créations d’associations.
Le réflexe associationniste est une réponse des individus librement réunis pour corriger, pour s’opposer, se substituer aux systèmes défaillants, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux.
L’associationnisme est un mouvement de liberté profondément ancré dans la tradition et l’histoire des démocraties. Droit naturel, le droit d’association stimule l’initiative individuelle et combat la toute puissance de l’Etat.
Le mouvement associatif est perçu comme un contre pouvoir, comme l’affirmation de la société civile face à la société politique.
Rappelons ce que déclarait Guy Raffi dans le document préparatoire du colloque de la DAP de Grenoble, 1981 : « les richesses et la diversité des formes de la vie sociale sont la meilleure protection du citoyen contre les empiètements sur sa vie quotidienne de toute forme de domination étatique ».
En France, l’association a entretenu des rapports ambigus avec le pouvoir politique, tour à tour : freinée, empêchée, puis encouragée et enfin légalisée elle a été longtemps suspectée.
Comme corps intermédiaire, l’association était considérée comme antinomique de l’intérêt général. Cette suspicion a abouti dans les faits à une tentative de contrôle, de neutralisation et de pénétration VACCARO Page 1 26/02/2022 Page 1 sur 7 des grandes associations.
La pauvreté de la vie associative en France jusqu’à un passé récent est à mettre en relation avec l’intervention de l’état dans l’action collective.
Mais les années 70 représentent un tournant dans l’associationnisme. La vivacité des créations d’associations semble annoncer une nouvelle ère.
Les explications de ce phénomène ont été précisément analysées et peuvent être énoncées ainsi :
-accroissement du niveau de vie et du niveau culturel des Français,
-la crise de la démocratie représentative,
-la prépondérance de l’économie, mais aussi et surtout crise de l’Etat-Providence qui ne vient pas perturber que le secteur associatif, mais bien l’ensemble de la société Française.
Liberté fondamentale, contre pouvoir de la société civile face à l’Etat, l’association a du mal à user de cette liberté et de cette capacité à jouer le rôle de garde de fou, de substitut ou de correcteur des autres corps de la société.
Evoluant en permanence entre deux modes d’organisation, le marché et le secteur public, auxquels l’association fait constamment référence au point de se définir par rapport à ceux-ci, elle avance par un processus d’adhésion et de refoulement.
Rien de définitif ne peut être écrit sur l’association. Guy Berger le souligne bien. Parlant de la temporalité de l’association il nous dit : » … une entreprise est toujours une entreprise ; une association, une coopérative, une mutuelle sont toujours en voie de cesser d’être un mouvement associatif, un mouvement coopératif ou mutualiste… »[1].
Cette difficulté à se situer a été illustrée par la réflexion concernant la légitimité et la tentative d’identification d’un tiers secteur.
Ce débat d’idées persistant trouve son origine, selon nous, dans le paradoxe dont le milieu associatif ne parvient pas à se débarrasser et qui oppose ou confronte la qualité de l’initiative privée dans l’action sociale, hautement revendiquée par les « associés » à la dépendance du financement public.
Le problème se situe bien à ce niveau. Comment l’association peut-elle jouer son rôle, réaliser sa « vocation », qui est rappelons-le de contrebalancer le pouvoir de l’Etat de se substituer aux systèmes défaillants, si elle ne dispose pas de l’indépendance financière.
L’association peut-elle véritablement « mordre » la main qui la nourrit ? force est de constater que l’exercice de l’autorité et agir de façon libre, nécessitent l’indépendance financière.
Les chiffres dont nous disposons montrent que les fonds public ou para-publics sont et de loin la principale source de financement des associations.
L’exemple des associations du secteur sanitaire et social, que nous avons cité est éloquent. Celles-ci reçoivent environ 1% de leurs fonds des particuliers et des entreprises.
Mais la faiblesse de la participation du « privé » dans le financement des associations devient suspecte. Elle a inspiré un pamphlet très acerbe à Louis Bériot, ancien Président d’ Espaces pour demain : « le bazar de la solidarité »[2].
L’auteur y dénonce la dépendance du milieu associatif des financements de l’Etat.
Cette évolution dans les pensées découle du progrès du discours économique face au discours idéologique.
Le rationalisme économique a fait, ces dernières années une très grande percée dans l’opinion publique.
Les avatars de la politique économique menée par le gouvernement de gauche dans les deux premières années de la législation, commencée en 1981, a joué un rôle démonstratif au regard de la population. Face au discours politique, les faits, la réalité économique se sont imposés et ont conduit à mener une politique économique opposée au discours idéologique.
Le changement de mentalités et les rigueurs budgétaires qu’a entraînés la crise actuelle, obligent, dans le secteur associatif, de façon d’autant plus impérieuse, à la sélectivité.
Il s’agit dès lors de sélectionner les projets, les acteurs, les moyens.
Mais quels vont être les critères d’évaluation : l’efficacité, l’idéologie, le clientélisme ?
Qui sera chargé de mener cette évaluation ? Le marché ou l’Etat ?
Pendant que certains « associés » continuent à discuter du « sexe des anges », et cherchent par là à masquer leur difficulté à réagir face au tournant qui s’amorce, d’autres ont fait leur ce vent de changement et mise sur le marché.
Le « Tout Etat » qui n’était pas suspect, il y a encore dix ans, est de plus en plus dénoncé aujourd’hui.
Cette évolution s’inscrit dans le processus de changement des mentalités, que nous avons décrit plus avant et qui s’appelle « moins ou mieux d’Etat ».
Désormais, l’idée qui consiste à faire payer le consommateur et non le contribuable fait son chemin.
Dans le cadre de notre réflexion sur le financement des associations, on peut résumer cette tendance par la formule :
- Solidarité obligatoire : non
- Solidarité volontaire : oui.
Une frange infime du secteur associatif a mis à profit la nécessité de répondre à cette demande.
Un certain nombre d’organisations caritatives ou de recherche (médicale essentiellement) « OCR » constituent le fer de lance du milieu associatif pour ce qui est de la recherche de fonds privés.
….. à suivre
[1] Colloque de l’ADP, Grenoble 81
[2] Louis Bériot, Le bazar de la solidarité, éd. Lattès Paris1985