La mobilisation des donateurs en soutien à la population ukrainienne est à la hauteur de la stupeur, de la sidération qui a saisi le monde « occidental » et plus singulièrement les européens.
Des records de générosité financiers, et en nature, sont d’ores et déjà constatés, dépassant les montants collectés, suite au Tsunami de 2004 et au séisme d’Haïti.
C’est probablement enfoncer des portes ouvertes que de tenter d’expliquer les raisons de cet élan.
On y trouvera évidemment : l’horreur de la guerre sur le sol européen, déclenchée par une puissance nucléaire, la destruction des villes, des civils ciblés par les bombardements, l’exode de la population et notre incapacité à faire cesser ce martyre, exception faite de sanctions économiques.
Nous nous morfondons du fait de cette impuissance et de cette culpabilité.
Alors comment répondre à ce dilemme qui nous rend spectateur effaré de cette tragédie ?
L’humanité répond généralement, de façon assez universelle, par la générosité qui se traduit par le partage, l’accueil et toutes les formes de dons.
De toute l’Europe se multiplient les initiatives de citoyens qui apportent des produits de première nécessité, qui vont chercher, aux frontières, des femmes et enfants pour les accueillir dans les villes et villages, que de grandes ONGS qui déploient leurs dispositifs de secours à grande échelle.
Les donateurs, quels que soient l’âge, le statut professionnel, le niveau de revenus sont au rendez-vous, par compassion, bien sûr, mais aussi pour tenter de faire taire une lourde culpabilité.
Les anthropologues interprètent cette générosité par deux formes d’expression :
- le don fusionnel : je donne par compassion, j’embrasse cette personne à travers mon geste et mon soutien.
- le don sacrificiel : je donne pour éloigner de moi cette souffrance ou cette douleur que je ne veux pas voir. Je donne pour éloigner de moi ce qui me fait peur, ce qui m’angoisse.
Nous avons assisté, dans une Europe épargnée par la guerre, sur son sol, depuis la Seconde Guerre mondiale, à l’exception de la guerre des Balkans dans les années 90, à la multiplication des catastrophes naturelles, des guerres et autres épidémies qui nous paraissaient lointaines et hors de notre sphère.
L’expression du donateur était avant tout fusionnelle, nous nous sentions proches spirituellement et émotionnellement des victimes, convaincus que leur malheur ne nous atteindrait pas, en tous cas pas de façon systémique.
L’épidémie de la Covid et la guerre en Ukraine a fait voler en éclat cette candide conviction.
Nous avons tous été frappés par cette pandémie, bien sûr de façon plus ou moins dramatique, et les bruits de bottes, voire une crise nucléaire, se rapprochent. Au don fusionnel s’ajoute un don sacrificiel qui aide à nous éloigner de ce malheur, si proche de nous désormais.
De ma très longue expérience, j’ai trop souvent constaté que le malheur est aveugle et la générosité injuste.
Quand Poutine a ravagé la Tchétchénie, nous n’avons pas bougé car on nous a fait entendre qu’il s’agissait de l’éradication d’un nid de terroristes.
Quand Alep a été rasé, nous avons détourné notre regard, car il fallait terrasser Daesh.
Il existe une hiérarchie des générosités avec bonnes et moins bonnes victimes. Ayons au moins une pensée pour les enfants du Yemen, qui subissent les conséquences d’un conflit atroce depuis cinq ans.
Mais dans toute cette confusion des sentiments, l’élan de générosité présent ne sera pas exclusif au profit des Ukrainiens. Comme à l’accoutumée une bulle de générosité va gonfler et bénéficier à toutes les grandes causes qui drainent habituellement les dons des particuliers et des entreprises.
Car nous sommes plus généreux dans la souffrance et le malheur que dans le bonheur
Nous pouvons être tout à la fois dans de tels moments dans un profond égoïsme et, dans le même temps, dans un grand mouvement de solidarité.
Si la précarité a augmenté en France depuis le confinement et les différents chocs économiques qui s’aggravent, la générosité résiste, voire augmente et pas simplement au profit des causes au cœur du fléau du moment, mais en soutien aussi à des causes qui pourraient paraître périphériques.
Le baromètre des générosités 2020 de France Générosités affichait une progression de 13,7% entre 2019 et 2020, alors que le PIB s’effondrait de 8,1%.
Il s’agit bien sûr d’une moyenne qui masque des disparités, mais la centaine d’organisation qui se partage les deux tiers du financement privé par le don ont toutes affiché des taux de progression robuste.
Il en sera probablement de même cette année, à condition toutefois que ce conflit ne s’étende pas et que la crise économique qui pointe ne se transforme pas en krach !
Antoine Vaccaro
Président du CerPhi