Jean-François Vilotte est Président de l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Lignes). Il revient sur le phénomène sociétal que constituent les paris en ligne et les effets de la loi de mai 2010 qui oblige les opérateurs à un cahier des charges censé protéger les joueurs…
Les paris en ligne constituent une sorte de révolution culturelle dont on peut mesurer les effets mobilisateurs très importants auprès des internautes. Comment expliquez – vous ce succès immédiat ?
JFV : Tout d’abord je voudrais rappeler que les jeux en ligne et le fort intérêt qu’ils suscitent auprès des internautes ne sont pas nés de la loi de mai 2010 liée à l’ouverture de ce marché à la concurrence. En effet, la pratique en masse de ces paris en ligne existe depuis longtemps mais il n’y avait pas, jusqu’alors, une vraie politique de régulation de ces jeux et notamment pour prendre en compte les risques connus dans ce genre d’activité économique : la criminalité, l’addiction, la pratique des mineurs… l’insécurité finalement…Aux cotés des PMU, Française des Jeux et les Casinos, de nombreux opérateurs utilisaient l’économie numérique pour attirer vers eux des joueurs désinformés sur les dangers d’une telle pratique.Le parti pris du législateur (L’Etat) a donc été d’adapter son mode de régulation des jeux à ce phénomène en rendant obligatoire un cahier des charges scrupuleusement étudié pour protéger les joueurs. Faut-il préciser qu’avant cette loi de mai 2010, 96 % des joueurs s’adressaient à des opérateurs illégaux et 4% seulement sur des sites contrôlés ou contrôlables. L’économie du numérique connait une croissance régulière par rapport à l’économie en dur ; l’acte d’achat des courses sur internet au supermarché est un exemple parmi tant d’autres, c’est la même mutation pour les jeux en lignes qui offrent des possibilités nouvelles de pratiques à domicile. Le législateur, au regard de tous ces paramètres modernes de l’acte d’achat a donc œuvré sur l’aspect qualitatif des services rendus par les opérateurs en les obligeant à des normes et des règles rigoureusement surveillées.
Dans une société en crise économique, morale, identitaire, la fenêtre nouvelle des paris en ligne doit elle être vécue comme une bouffée d’oxygène ou bien comme un jeu dangereux ?
JFV : Il serait une erreur de diaboliser les jeux. Ils sont des phénomènes culturels et sociaux qui ne datent pas d’aujourd’hui. D’autre part, il existe une tradition philanthropique et solidaire chez des opérateurs historiques comme le sont le PMU (filière équine), La Française des Jeux (les Gueules Cassées, anciens combattants de la guerre 14-18 en sont des actionnaires). En revanche, et c’est bien là le nerf du danger potentiel il existe chez certains joueurs une croyance de rationalité alors que par définition il n’y en a pas !!! Je rappelle que dans n’importe quel jeu de hasard et d’argent : sur la durée on perd ! Il y a même une expression connue des milieux des casinos qui dit que seuls les propriétaires gagnent de l’argent dans ces établissements…Alors pour maîtriser les risques d’addiction et de dérives en tous genres des joueurs, soit 3 % des parieurs en ligne, la loi prévoit le financement de suivi psychologique ou psychiatrique afin d’endiguer des phénomènes de dépendance. Les opérateurs agréés par l’ARJEL offrent des modérateurs en mesure de repérer les risques de spirales infernales. Une lutte pénale et civile est menée contre les opérateurs contrevenants donc illégaux. J’insiste beaucoup sur ces points là car il faut inciter les joueurs à ne s’adresser qu’à des sites légaux et à utiliser la plénitude des moyens mis à disposition pour être accompagné dans cette pratique. C’est d’ailleurs dans cette optique que nous entretenons des liens étroits avec les médias et les publicitaires pour que les messages délivrés rappellent à chacun que l’on ne gagne pas forcément, et que la responsabilité individuelle doit être permanente. Le CSA garantit cette déontologie et garantit entre autre des horaires de diffusion de ces messages réservés aux adultes.Le jeu est une part de rêve mais qui doit demeurer encadré pour ne pas déresponsabiliser les joueurs en le faisant croire que le bonheur durable est au bout !
Dans un contexte de moralisation des jeux on voit poindre des paris en ligne avec des reversions automatiques à des causes humanitaires. N’est ce pas là le meilleur moyen d’apporter une éthique à ce phénomène ?
JFV : On ne peut pas justifier de l’encadrement des jeux uniquement sur la destination des fonds mais bien sur son cahier des charges veillant à protéger les joueurs. Il existe d’ailleurs une vraie tradition solidaire dans les jeux de hasard et d’argent. Le CNDS est prélevé sur les jeux en ligne ; les financements des filières équines sont assurés par le PMU et les jeux de Poker alimentent la Caisse nationale pour les Evènements Historiques.En revanche ce qui peut être vrai dans une démarche solidaire à travers les jeux en ligne, c’est de voir apparaître une catégorie de joueurs qui, conscients que l’on a plus de chance de perdre que de gagner sauront se mobiliser quand même pour une cause qui leur est chère…
Ce communautarisme peut exister effectivement. Les Jeux en ligne sont ils une mode ? Quels seraient vos recommandations aux joueurs en tant que Président de l’ARJEL ?
JFV : Les jeux en ligne sont une résultante de l’économie Internet et donc pas prêt à s’essouffler. La régulation des jeux doit donc demeurer en état de veille permanente pour rester efficace au fil des ans.Il faut insister sur le fait que le jeu n’est pas une activité économique banale et qu’elle impose pour chaque joueur une attitude responsable. Adapter sa façon de jouer à ses capacités propres est essentiel à cet égard. Il faut demeurer attentif à ce que le jeu reste un jeu. Bannir de son vocabulaire que l on peut être un « pro » du jeu est une base de réflexion très très importante. INPS, Education Nationale, Centres d’Addictologie, Régulation Publicitaire sont des partenaires attentifs à ces démarches.Les paris en ligne sont au confluent des problèmes d’éthique et de l’économie internet. C’est un sujet sociétal fort mais qui ne doit jamais donner l’illusion que l’on peut maîtriser le hasard ou qu’une soi disant expertise permettrait d’y parvenir un jour.
Propos recueillis par Laurent Dupré