L’empathie, définie comme la capacité à se mettre à la place d’une autre personne pour comprendre ses sentiments, est un trait distinctif qui nous rend si profondément humain et qui est à la source du raisonnement social et des comportements moraux. Il repose sur des systèmes neurologiques façonnés au cours de notre histoire évolutive que l’on commence à comprendre.
Je proposerai, à partir d’arguments théoriques et expérimentaux (provenant de la psychologie du développement, de la psychologie sociale et des neurosciences cognitives), que l’empathie n’implique pas seulement une réponse affective déclenchée par l’état émotionnel d’autrui. Elle nécessite également une compréhension minimale des états mentaux de cette personne. L’empathie est fondée sur notre capacité à reconnaître qu’autrui est semblable à soi, mais sans confusion entre soi-même et l’autre. Par conséquent, une caractéristique essentielle de l’empathie réside dans la distinction entre soi et l’autre, et ce en parallèle avec l’expérience d’un partage affectif.
Nous verrons que nous possédons une disposition innée à ressentir que les autres personnes sont « comme nous » et nous développons rapidement au cours de l’ontogenèse la capacité à nous mettre mentalement à la place d’autrui.
Deux composants fondamentaux interagissent pour créer l’empathie : d’une part, un composant de résonance motrice dont le déclenchement est le plus souvent automatique et non intentionnel ; d’autre part, la prise de perspective subjective de l’autre qui est plus contrôlée et intentionnelle. Le premier composant apparaît en premier au cours du développement et plonge ses racines dans l’histoire évolutive de nos ancêtres les primates non humains. Le second est plus récent et semblerait même être propre à l’espèce humaine. Enfin, la distinction entre soi et l’autre fait appel à l’inhibition exécutive qui se développe chez l’enfant en parallèle avec la capacité de s’attribuer à soi-même ou à autrui des états mentaux (désirs, croyances, sentiments).
Jean Decety, neurobiologiste, est professeur au Center for Mind and Learning à l’université de Washington et directeur du laboratoire Social Cognitive Neuroscience à Seattle. Il est spécialiste de neurophysiologie, d’imagerie cérébrale et de neuropsychologie. Jean Decety a notamment travaillé sur la perception et la compréhension des actions humaines, sur les questions de l’intentionnalité chez les personnes schizophréniques, sur l’autisme, et étudie actuellement les mécanismes cognitifs et neuraux impliqués par les phénomènes d’imitation et par l’intersubjectivité.
Il est l’auteur de :
– Cerveau, perception et action, PUG, 2001.
– Imiter pour découvrir l’humain, avec Jacqueline Nadel, PUF, 2002.