L’agenda législatif et fiscal des associations et fondations s’est quelque peu affolé ces derniers mois. Pas moins de trois textes ont tenté de cibler, pour les rogner, les avantages fiscaux accordés aux donateurs, particuliers ou entreprises.
Les projets en cause
– D’abord, l’« amendement Carrez », qui visait à intégrer le don des particuliers dans le plafonnement de toutes les déductions attachées à l’IRPP.
Ce plafonnement fixé à 10 000 euros aurait contribué à réduire les dons des plus grands donateurs (rappelons que 15 % des foyers aux revenus les plus élevés contribuent pour 45 % du montant des dons déclarés) et aurait ainsi mis tout le secteur philanthropique devant de grandes difficultés. Une première mobilisation du milieu associatif a permis d’arrêter cette intention, mais la menace n’est probablement pas écartée.
– Le deuxième projet, dit de « Territorialité du don », traite de la suppression de la déduction fiscale pour les dons effectués au profit de causes internationales qui ne relèvent pas de l’humanitaire, du rayonnement culturel, linguistique et scientifique de la France.
Cela créerait un premier et grave accroc à la notion d’universalité des causes philanthropiques et instaurerait une réelle instabilité fiscale. En effet, quelle instance décidera que telle ou telle action remplit les conditions prévues par le texte? Est-ce que des mouvements considérés un temps comme contestataires obtiendraient cet agrément ? MSF, MDM, HI, ACF l’auraient-ils obtenu lors de leur création ?
Enfin quel impact cela aurait-il sur la survie de nombreuses associations françaises agissant dans le monde, alors que la France peine à atteindre les objectifs du millénaire et à porter son aide publique à 0,7 % du PIB.
– Le troisième sujet du législateur et de l’exécutif concerne les taux de déduction du mécénat d’entreprise, qui serait divisé par deux, passant de 60% de l’IS à 30 %.
Préoccupations et arguments du législateur
Ces trois projets de réforme traduisent une préoccupation convergente des hommes de l’État de réduire les avantages fiscaux consentis aux donateurs afin de réduire la charge financière de l’Etat.
Mais en ont-ils véritablement pesé les conséquences ? Au-delà du projet fiscal, quel est le projet social de telles mesures ? Le risque de créer un krach philanthropique[1] alerte de nombreux responsables associatifs et de fondations
Sans entrer dans le détail des textes, plusieurs préoccupations reviennent dans les attendus de ces projets, que nous citons ci-dessous de façon non-hiérarchisée :
– La réduction de la dette et du déficit de l’Etat ;
– La prise en charge par l’Etat de deux tiers de la générosité des Français grâce aux déductions fiscales et la faible élasticité de la générosité des donateurs, particuliers et entreprises, aux variations des taux et plafonds de déductions ;
– L’efficacité comparée de l’action des ONG et de la puissance publique.
Nous souhaitons ici analyser ces arguments et les conséquences d’une re-configuration fiscale du don pour le tiers secteur, afin d’ouvrir la discussion avec le législateur sur ce sujet.
Toucher à la fiscalité des dons : un mauvais calcul d’économie politique
Les quarante années qui viennent de s’écouler ont permis à la France de rattraper le retard de la société civile dans la prise en charge de l’intérêt général et d’installer dans le paysage français et international de véritables « champions » scientifiques et humanitaires :
– AFM Téléthon, pour le Généthon ;
– La Fondation Pasteur pour la découverte du sida ;
– MSF et Handicap International, qui ont chacun obtenu le Prix Nobel de la Paix pour leurs combats ;
– la Fondation de France pour son rôle structurant de la nouvelle philanthropie française et pour son rôle fédérateur des fondations européennes.
Ces progrès, grâce au soutien de millions de donateurs et d’entreprises mécènes, ont pu être réalisés à des conditions financières incomparablement plus avantageuses que si l’Etat avait eu à porter ces causes.
En outre, grâce aux actifs qu’elles possèdent, les fondations peuvent financer des actions sur le court terme et le long terme, au profit d’associations, de laboratoires, d’établissements culturels. Elles ont la capacité d’engager des stratégies d’action sur plusieurs années, et d’obtenir un impact significatif sur les questions de société qu’elles traitent. Citons :
– La Fondation de France : soutien précurseur et structurant dans les domaines de l’autisme, des soins palliatifs, de l’hébergement des personnes âgées, l’insertion par l’activité économique, l’accès à la culture…
– Les Apprentis d’Auteuil : gestion d’établissements en apportant des solutions nouvelles face à des évolutions rapides des personnes accueillies
– L’institut Pasteur : assurer des recherches de haut niveau pour lutter contre le fléau des maladies les plus graves.
On comprend que la réduction des déductions fiscales ou leur plafonnement aurait des conséquences sociales fortes au niveau national mais aussi local, compliquant la tâche des élus de collectivités territoriales. Elle diminuerait les actions menées par les associations, et les collectivités devraient prendre en charge les personnes concernées, pour un coût que personne n’est en mesure d’évaluer aujourd’hui.
Enfin, concernant le coup de rabot sur le mécénat d’entreprise, Xavier Delsol, dans un article publié dans Jurisassociations 463 du 15 juillet 2012, a démontré que la division par deux de l’avantage fiscal serait plus coûteux pour l’Etat, car il conduirait les entreprises à reporter leurs financements sur le poste « parrainage », redevenu fiscalement aussi attractif, mais sans le plafonnement auquel est assujetti le mécénat.
La générosité des donateurs est sujette aux variations des taux et plafonds de déductions
Il n’est pas contestable que l’Etat soutient fortement la générosité des Français. La France dispose aujourd’hui de l’un des meilleurs systèmes d’incitation aux dons, qui permet, au moment où les subventions sont en régression, de maintenir la vitalité associative.
Mais des conceptions réellement différentes de l’incitation fiscale au don s’opposent aujourd’hui.
Quelques auteurs[2] tentent de démontrer par un raisonnement théorique qu’une révision des taux de déduction à la baisse n’aurait qu’un faible impact sur la générosité des Français. Nous constatons pourtant sur le terrain que si la fiscalité n’est pas la première motivation des particuliers, elle demeure un fort encouragement, notamment pour les plus hauts revenus, qui sont également les plus hauts contributeurs aux grandes causes.
Depuis plusieurs années, les contribuables déclarant plus de 45 000 euros, qui représentent 10 % des foyers fiscaux, constituent un tiers des foyers donateurs et contribuent pour moitié au montant total déclaré[3]. Or, en période de crise, les petits dons régressent, remplacés par une croissance du montant des dons plus importants.
En outre, la croissance importante des fondations et des fonds de dotation depuis dix ans résulte d’affectations importantes d’argent. Un éventuel plafonnement des dons, ainsi que de la remise en cause de la déduction possible au titre de l’ISF donneraient un coup d’arrêt à la création de fondations privées mais aussi de celles créées récemment comme les fondations de coopération scientifique, d’université, d’hôpitaux etc. et donc des milliers de programmes et d’associations qu’elles soutiennent.
Optimiser la complémentarité Public / Privé au service de l’intérêt général
Il ne s’agit pas d’opposer deux modèles, qui ne peuvent être que complémentaires.
Lors de son discours au CESE le Président de la République s’est exprimé sur ce sujet : « L’Etat c’est la référence collective, l’incarnation de l’intérêt général même si l’Etat ne détient pas par lui-même le monopole de l’intérêt général. Car l’Etat est au service de la Nation, il n’est pas la Nation à lui seul. Et l’Etat ne peut pas prétendre tout faire tout seul s’il ignore la multiplicité des organes qui constituent le corps vivant, le corps social, alors il se condamne à l’inefficacité et parfois même à l’impuissance. L’Etat doit être respecté, à condition qu’il respecte les autres partenaires. »
En assumant la répartition de la prise en charge de l’intérêt général, l’Etat ouvre une discussion sur les modalités de l’action.
Sous l’impulsion de la Fonda et la CPCA, une profonde réflexion est en cours pour prendre toutes les mesures indispensables à l’adaptation des associations aux contraintes économiques et mieux faire connaître l’impact de leurs actions.
Que deviendrait le service d’intérêt général sans la mobilisation des ONG, des professionnels et des bénévoles qui prennent en charge des pans entiers d’activités sanitaires, sociales, sportives et culturelles ?
Que serait la protection de l’enfance en France sans le concours des associations et des fondations privées ? Que coûterait à l’Etat l’intervention de salariés aux cotés de personnes âgées, malades, ou handicapées, si des milliers de bénévoles n’intervenaient pas à leur domicile ou en institution ? Comment l’administration fiancerait-elle la présence de 2 000 étudiants du Génépi qui effectuent bénévolement des formations dans 80 établissements pénitentiaires, pour ne prendre que cet exemple qui suscite notre admiration ?
En conclusion
Approcher l’activité des associations et fondations par l’angle fiscal nous semble être une grave erreur. Il serait plus efficient de savoir quelle mission est donnée à ces organismes, d’en évaluer l’impact social, puis d’envisager la fiscalité adaptée. Nous appelons de nos vœux une discussion ouverte sur ce sujet et, corolairement, sur le devenir des organisations faisant appel à la générosité du public, avant d’envisager des modifications fiscales aux conséquences désastreuses.
Francis Charhon
Directeur Général de la Fondation de France
Antoine Vaccaro
Président du CerPhi
[1] Francis Charhon in Les Echos 06/07
[2] Les incitations fiscales aux dons sont-elles efficaces ? Gabrielle Fack et Camille Landais
[3] https://www.cerphi.org/actualite/barometre-france-generosites-cerphi-edition-2012/