La création par Mark Zuckerberg d’une fondation a fait l’objet d’une large couverture médiatique en raison de la personnalité de son fondateur, créateur de Facebook, et de l’importance de la somme (45 milliards $) consacrée à l’opération.
Bien que l’organisme institué ne soit pas à proprement parler une véritable fondation mais une société civile d’investissement* dans des opérations d’entrepreneuriat social ou à but d’intérêt général, il n’est pas inutile de rappeler que :
– La culture et la pratique philanthropiques aux Etats-Unis nécessitent un décentrage, selon la formule des anthropologues, faute de quoi on passe à côté d’une réalité dynamique. – L’importance des patrimoines y est surprenante pour un Français et l’exemple de la Californie est révélateur de la corrélation entre richesse et puissance des fondations.
Les Etats-Unis sont un pays religieux, originellement protestant (rôle de la grâce divine), dans lequel celui qui s’est enrichi estime qu’il doit son enrichissement à la communauté et qu’il doit donc lui rendre en retour ce qu’elle lui a donné. Cette pression sociale est d’autant plus forte que l’Etat ou les Etats n’assurent qu’une prise en charge limitée des services d’intérêt général tels que l’éducation, la santé, les activités culturelles, etc.
C’est un pays dans lequel, contrairement à la France, la famille n’a aucun droit sur le patrimoine de ses parents, chaque génération devant assurer sa propre prospérité. Ces quelques caractéristiques, grossièrement dessinées et non exhaustives, expliquent : – La liberté de tester sans limite au profit de personnes situées hors du cercle familial (seuls quelques Etats ont instauré des réserves au bénéfice des enfants). Si Mark Zuckerberg était français, il n’aurait pu consacrer à une fondation que la moitié de son patrimoine car il est père d’une enfant, la proportion aurait été de 25 % s’il avait 3 enfants ou plus. – Des droits de succession à 60 % (auxquels il convient d’ajouter la taxation des Etats) au-delà de 3 millions de dollars quel que soit le lien de parenté (à l’exception des legs à des charities)**.
Ces considérations morales, juridiques et fiscales sont de nature à encourager la philanthropie dans son principe mais non dans son volume ; celui-ci est le fruit d’enrichissement personnel sans commune mesure avec la situation française.
Les sociétés informatiques et numériques qui constituent l’un des pôles de développement des USA ont été créées par un petit groupe de personnes qui ont su ou pu (activités moins exigeantes en capital que les industries traditionnelles ?) garder la majorité du capital.
Facebook, Microsoft, Apple, Google en sont la parfaite illustration et une rapide analyse de la situation des fondations en Californie, haut lieu de la high tech, confirme le parallèle entre richesse et philanthropie.
Le PIB de la Californie représente environ 11% du PIB américain. Les 7 749 fondations enregistrées en Californie détiennent 15 % des actifs des fondations américaines***. 10 des 50 plus grandes fondations américaines sont en Californie. Et surtout 72 % de ces fondations ont été créées après 1987**** , conséquence du déplacement des activités économiques vers l’Ouest des Etats-Unis et surtout de la croissance vertigineuse des activités liées au numérique et à l’informatique dont la Silicon Valley est le symbole.
Philosophie politique, religion, grandes fortunes, taxation des successions sont des paradigmes exotiques vus de France mais qui sont les sources de la vitalité du système philanthropique aux USA.
Guy Courtois,
Docteur en sciences économiques,
Ancien directeur de la Fondation de France
* (LLC : limited liability company)
** En France les droits sont de 45 % maximum entre parents et enfants.
*** The Center on Philanthropy and Public Policy University of Southern California ; Foundations, A snapshot 2012
**** Elles détenaient, en 2012, 41 % des actifs des fondations californiennes (109 milliards de dollars) et distribuaient 54 % des sommes allouées par les mêmes fondations (6.95 milliards de dollars)